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Éloge de la lenteur
20 mai 2007

Les paresseuses observations du baron Achile U et ses curieuses explorations naturalistes des rivages, ici en Morbihan

Cette exploration commence le cinquième jour du mois de mai, après quelque temps de repos chez l'ami Georges, à refaire nos forces et nos esprits suite à cette éprouvante mais enrichissante semaine de 22 jours, consacrée à combattre le vieux pour en faire du neuf, tel Hercule dans les écuries d'Augias, détournant le fleuve des copains et copines d'Annie et son cours aussi impétueux qu'assoiffé pour nettoyer la maisonnette de la rue de l'Alouette.

Nous voici donc, mon indestructible compagne Dominique et moi, fraîchement et énergiquement débarqués de l'autobus à Sarzeau, en la presqu'île de Rhuys, au sud-est de la mor bihan (la petite mer, en langage vernaculaire), réchauffés, harnachés, encouragés, chaussés et bien déterminés à vaincre les cinq kilomètres qui nous séparent de notre destination du jour, le village de Kerignard, plus au sud. Je t'évite les triviaux et vulgaires détails, cher lecteur, pour ménager ta sensibilité: escarpement de la route, péril des voitures qui nous frôlent à tout instant, étrangers croisés ici et là, sauvage isolement campagnard des habitations, choix angoissants répétés aux nombreux carrefours, soleil brûlant, chaleur accablante, poids de nos équipements que même le plus courageux des ânes aurait refusé. Me voici arrivé, harassé, assoiffé, hagard, suant, chez ma logeuse qui, telle une bonne fée bretonne, soignera mon âme en m'indiquant avec empressement le plus court et ombragé chemin vers le plus proche bistrot, au village de Pointe-Saint-Jacques, toujours plus au sud.

C'est lors de ce déplacement et une fois arrivé que je fis, en déambulant oisivement mais les sens en éveil, la rencontre d'une espèce animale mondialement connue mais en inhabituelle concentration de population en toute cette région du littoral atlantique morbihannais. Cette espèce prolifère - sans se reproduire elle-même toutefois dans le groupe, vu l'âge avancé des sujets, donc par simple apport extérieur d'individus - et lentement, subrepticement, occupe tout l'espace du rivage, repoussant inexorablement les autre espèces, au mieux vers les terres de l'intérieur, au pire vers l'extérieur du pays. Tant et si bien que l'animal conditionne le paysage de ce plat pays de verte campagne agraire et de bleus rivages sablonneux, transformant tout uniformément en un morne habitat blanc et gris, à la texture de béton. La variété animale de l'espèce connue, puisqu'il ne s'agit pas d'une sous-espèce mais bien d'une variété, a été nommée par moi du fait d'une qualité (ou d'un défaut, diront d'autres taxonomistes) invisible à l'oeil innocent mais pourtant essentielle et fondatrice de l'ensemble du comportement de l'animal: aurifer c'est-à-dire, pour toi lecteur qui ne serait pas latiniste aguerri, qui porte ou qui contient de l'or.

L'animal, Homo sapiens var. aurifer (Ach.) (note ici l'abréviation de ma signature, pratique usuelle en taxonomie qui perpétue la mémoire des pionniers et découvreurs. Signe toi-même, personne ne le fera à ta place.), aurifer donc vit en concentrations qui ont apparence de troupeaux mais qui, au contraire, sont composées d'individus isolés ou en couples, qui ont peu de rapports sociaux entre eux et moins encore avec les individus de sapiens ordinaires. Ils se déplacent non pas debout mais assis, dans de très grosses boîtes de métal, souvent noires, toujours hermétiquement closes par crainte de l'air extérieur. Ils sont migrateurs, provenant souvent d'un quartier d'hiver identifié en pays chaud vers ce quartier d'été au climat tempéré, arrivant individuellement entre le début de mai et les premiers jours de juillet et repartant aux alentours de l'équinoxe d'automne, pour les plus tardifs. Inutile d'élaborer sur la désolation que cette migration annuelle crée dans le paysage et sur l'activité générales des autres sapiens.

Les aurifer mangent peu et mal, à témoin cette expérience risquée que je fis: me rendant me restaurer à l'un de leurs rendez-vous afin de te faire participer au plus près à la vie quotidienne de cette espèce, une obséquieuse personne posa devant moi, à ma demande innocente, une assiette garnie de quelques feuilles d'une laitue vert-malade, d'une pâle tomate insipide en quartiers, d'un avocat également en quartier, débarrassé de son noyau mais pas de son écorce et pire, dur comme un avocat de pratique privée américain, et enfin de quatre crevettes trop cuites, dans leur carapace. Je dus, à mains nues, les doigts enduits de vinaigrette et l'esprit alerte malgré tout, combattre à la fois la crevette et l'avocat, ma faim et ma mauvaise humeur, les regards idiots de la serveuse et les commentaires outrés du chef de ce lieu suite aux miens sur la qualité de son vin. La tablée d'aurifer voisine de la nôtre devisait joyeusement devant le même invraisemblable assemblage d'aliments, en buvant le même jus de raisins fermenté, sans coup férir en apparence. J'en sortis indemne malgé tout. La science demande parfois ce genre de sacrifice et je souhaite que celui-ci te soit de quelque enseignement.

Fuyant Saint-Jacques vers le nord-ouest, traversant Saint-Gildas sous la menace constante des exactions financières des aurifer, nous trouvâmes refuge momentané au gîte d'étape du Moulin vert à Tumiac, où la simplicité des coeurs, des âmes et des sourires nous emplit de bonheur et nous réarma pour la suite de la difficile traversée du Morbihan et la cohabitation quotidienne de l'Homo sapiens var. aurifer (Ach.). En effet, jamais en tant d'années d'exploration, même paresseuse, même curieuse, je ne vis autant de superficiel, d'artificiel, de synthétique et d'inutile qu'à Arzon, qu'au Port du Crouesty - où tout est en plastique et en résine de synthèse, peut-être même la pieuse chapelle qui garde l'entrée du port - , qu'à Sarzeau, Trinité-sur-Mer, Carnac-Plage et Quiberon, un périple d'une centaine de kilomètres qui dura 15 éprouvantes journées et qui se termina fort heureusement à Belle-Île-en-Mer.

Baron Achile U
Mai, le 20, à bord du Vindilis à destination du port du Palais, sous la forteresse de Vauban

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