Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Éloge de la lenteur
15 décembre 2007

Milan Kundera questionne

 

« Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? Ah, où sont-ils, les flâneurs d'antan ? Où sont-ils, ces héros fainéants des chansons populaires, ces vagabonds qui traînent d'un moulin à l'autre et dorment à la belle étoile ? Ont-ils disparu avec les chemins champêtres, avec les prairies et les clairières, avec la nature ? Un proverbe tchèque définit leur douce oisiveté par une métaphore : ils contemplent les fenêtres du bon Dieu. Celui qui contemple les fenêtres du bon Dieu ne s'ennuie pas ; il est heureux. Dans notre monde, l'oisiveté s'est transformée en désoeuvrement, ce qui est tout autre chose : le désoeuvré est frustré, s'ennuie, est à la recherche constante du mouvement qui lui manque.

[...] Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli. [...] Dans la mathématique existentielle, cette expérience [ralentir le pas pour se rappeler quelque chose, accélérer la marche pour oublier] prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire ; le degré de vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli.

[...] De cette équation, on peut déduire divers corollaires. Par exemple celui-ci: notre époque s'adonne au démon de la vitesse et c'est pour cette raison qu'elle s'oublie si facilement elle-même. Or je préfère inverser cette affirmation et dire : notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse ; elle accélère le pas parce qu'elle veut nous faire comprendre qu'elle ne souhaite plus qu'on se souvienne d'elle ; qu'elle se sent lasse d'elle-même; écoeurée d'elle-même ; qu'elle veut souffler la petite flamme tremblante de la mémoire. »

Milan Kundera, La lenteur, 1995

 

 

Publicité
Commentaires
Éloge de la lenteur
Publicité
Archives
Publicité